Sleepin’ Susan
Qui de l’œuf ou de la poule a créé Mack The Knife ? Kurt Weil ou Jimmy Mundy ? Trêve de plaisanteries, ce Sleepin’ Susan ressemble étrangement au thème de Kurt Weill. Mais qui fut le premier à trouver cette géniale ritournelle ? Jimmy Mundy, complice de toujours d’Illinois Jacquet a, dans tous les cas, su trousser un joli thème tout en douceur et en rondeur. Pas étonnant que Chet Baker ou Gene Ammons avec Sonny Stitt le reprirent avec talent. Le chorus de Jacquet, tout en retenue, est ici cité largement.
No Sweat
No Sweat est une composition de celui qui « inventa » l’orgue Hammond à la fin des années 40, Wild Bill Davis. C’est aussi lui qui «inventa» cette formule sans bavure et diablement efficace: sax – orgue – batterie, ou encore guitare – orgue – batterie. La puissance d’un big band, le velouté d’une section de cordes, la mise en scène des solistes exacerbée au plus haut niveau, tel fut l’enjeu de ces combos réduit à leur plus simple expression. David Stephen «Wild Bill» Davis est aujourd’hui un musicien injustement oublié. Duke Ellington, qui connaissait sa valeur, n’avait pas hésité à l’intégrer à son grand orchestre. C’est tout dire !
Black Velvet (Don’t Cha Go ‘way Mad)
Cette magnifique composition de Jacquet fut reprise par Ella Fitzgerald sous le nom de Don’t Cha Go ‘way Mad. Tout comme Robbin’s Nest ou You Left Me All Alone, Jacquet est un compositeur inspiré qui n’hésita pas à s’adjoindre de collaborateurs pour parfaire, et pleinement exprimer, ses idées. Sa complicité avec Jimmy Mundy est ici une fois de plus magnifiée. Leur amitié et leur fidélité ne se démentira pas avec les années. Jimmy Mundy avait un sens rare de l’harmonie et des arrangements.
Blue Skies
Blue Skies est une sublime composition d’Irving Berlin dont les harmonies sont un véritable tremplin aux plus belles improvisations. Armel Amiot, à la guitare, est le seul soliste de cette version dont le thème final cite In Walked Bud , que Thelonious Monk avait écrit en hommage à son ami Bud Powell. À noter que cette même suite harmonique a servi de base à Duke Ellington pour son Trumpet No End.
Blue & Sentimental
L’école des Texas Tenors revendique Hershell Evans comme saxophoniste précurseur de ce style charnu, généreux, puissant, ancré dans le blues et le swing. Il ne reste que trop peu d’enregistrements de ce saxophoniste disparu trop tôt en 1939 des suites d’un arrêt cardiaque à l’age de 29 ans. Il eut malgré tout le temps de s’imposer parmi les saxophonistes majeurs de son temps, tenant la dragée haute à Lester Young dans des «chases» de légende au sein du premier grand orchestre de Count Basie de 1936 à sa mort. C’est surtout l’interprétation de ce Blue And Sentimental, gravé chez Basie le 6 juin 1938 pour Decca Records qui le fit entrer dans la légende du jazz. Ike Quebec en donna une magnifique version, accompagné par le guitariste Grant Green, dans un disque éponyme pour le label Blue Note.
Port Of Rico
"Port Of Rico" est un jeu de mot dans lequel Illinois Jacquet, compositeur de ce riff, célèbre les anches Rico, fort utilisées par les saxophonistes de jazz. Ce petit bout de roseau fixé au bec du saxophoniste et qui donne le son de l’instrument est essentiel au musicien et sa principale préoccupation lors de la préparation d’une session. Ces anches sont un cauchemar (ou un rêve) pour les saxophonistes ; de leurs tailles, leurs résistances, leurs coupes, leur séchage, dépend la qualité, la sonorité, la souplesse de l’interprète. La composition, Port Of Rico, est surtout célèbre pour la version précepte que le combo de Jacquet grava en 1952 avec à l’orgue et comme sideman, rien moins que Count Basie lui-même. Le chef d’orchestre et pianiste avait dû dissoudre son grand orchestre quelques mois auparavant affrontant la crise du début des fifties qui avait affaiblit les grands orchestres au profit des combos du rhythm’n blues qui découvraient l’électricité et donc : l’amplification. Il se retrouva ainsi, le temps d’une séance, accompagnateur du saxophoniste qu’il avait engagé quelques années plus tôt pour remplacer Buddy Tate à la place tant convié de soliste de son grand orchestre. Count Basie avait écrit en 1946 un thème évocateur pour Illinois Jacquet : The King. Ils étaient restés amis et s’étaient acheté une maison non loin l’un de l’autre dans le New Jersey.
Flying Home
Tout a été dit et écrit plus tôt dans ces pages. Flying Home est un emblème, un style, une manière de saluer toute une époque. Ce titre est ici le nom du projet, le nom du groupe. Il symbolise tout ce répertoire qui couvre dix année de jazz. Du milieu des années 40 au milieu des années 50, le jazz fut, parallèlement au style revendiqué par les boppers, profondément marqué par le blues, le rhythm’n blues, le gospel et les standards de Broadway. Illinois Jacquet fut l’un de ses héros, fer de lance de ces années où la musique s’écoutait autant sur les scènes de concert que dans les clubs destinés à la danse et au divertissement.
Blues From Louisiana
Illinois Jacquet est originaire de Louisiane (né à Boussard en 1922) et le revendique fièrement dans ce morceau. Sa musique est éminemment marquée par le blues et le gospel tel qu’il fut joué en Louisiane ; le blues des bayous (marécages à l’apparence paisible mais infestés de crocodiles), nonchalant, tout en retenu, en force contenu, à fleur de peau. Ce blues que des BB King ou Freddie King surent transcender à la guitare en des moments intenses de communion. Pas de fioriture, pas d’enjolissement, un tempo lent, très lent, un thème des plus basiques, laissant libre cours à la parole, à l’histoire à raconter. Le soliste prend alors le rôle du prêcheur. Les accompagnateurs sont ses premiers fidèles, reprenant selon les préceptes du genre, dans la formule « call and response » chère aux chants des églises noires américaines les phrases affirmées avec vigueur et clarté par le « preacher ». Le blues et le gospel ne sont jamais loin. La musique ne célèbre pas Dieu mais l’amour, l’amour du sexe, l’amour de la vie.
Night Train
La polémique a longtemps fait sourire les amateurs de jazz. Jimmy Forrest, formidable soliste, avait séjourné chez Duke Ellington qui avait composé un blues en trois séquences intitulé Happy Go Lucky Local. La vie perturbée par des substances illicites mais très (trop) utilisées par les artistes d’alors, fait qu’un jour de séance d’enregistrement pour des disques destinés au rhythm’n blues, Jimmy grave une version simplifiée de ce blues (1952) avec les trois séquences, les mêmes que celles écrites par Duke. Mais c’est cette version, et sous ce titre de Night Train, qui fera référence et sera interprétée par tous, de King Curtis à Sam Butera, de James Brown à Oscar Peterson. Un chef d’œuvre du genre.
Blow Sax Blow
Composition de Jean-Michel Proust dans la tradition des sax hurleurs (honkers & screamers) magnifiquement illustrés par ces disciples de Jacquet, poussant le style jusqu’au paroxysme, dont Red Prysock ou Big Jay McNeeley. Le plaisir du swing, de la danse, de l’échange, de l’énergie partagée passe en priorité dans un genre « léger » fort décrié par les «critiques» de jazz mais ô combien ludique.
Harlem Nocturne
Autre thème emblématique, Harlem Nocturne, une mélodie au fort pouvoir évocateur. On ne s’étonnera pas que de nombreux films ou séries TV l’ait repris par la suite. Nous sommes fin des années 40, début 50, le quartier noir de New York fait peur mais fascine. Ambiance polar à l’expressionnisme affirmé, ce morceau est un classique d’un jazz exclusivement réservé au public noir et cantonné sous l’appellation rhythm’n blues, de « la musique de gens de couleur pour les gens de couleur » dans l’Amérique ségrégationniste d’années politiquement peu glorieuses. On retiendra les versions de Willis « Gator Tail » Jackson, Sam Butera ou King Curtis sans oublier celle qu’a donnée Illinois Jacquet, tendre et sensuelle.
Robbin’s Nest
Illinois Jacquet fut très productif en tant que compositeur dans les très nombreuses séances d’enregistrement qu’il eut le bonheur de diriger. La plupart du temps, ce sont des riffs de blues, efficaces et sans détour. Pour les ballades, à la science harmonique accomplie, le saxophoniste a toujours fait appel à ses confrères. Pour Robbin’s Nest (1947), c’est le pianiste Sir Charles Thompson qui fut son complice pour un thème en hommage au DJ Robbin. Ella Fitzgerald, amie et collègue de scène d’Illinois dans les concerts du JATP (Jazz At The Philharmonic) ou dans les séances du label Verve, Clef ou Norgran dirigées par Norman Granz, l’a chanté avec talent. Eddie « Lockjaw » Davis avec Johnny Griffin, en quintet ténor – ténor, en a donné une très belle interprétation mais cette magnifique mélodie fut rarement reprise par d’autres.
Jersey Bounce
Jersey Bounce est un vieux succès du temps du grand orchestre de Bennie Goodman. Le saxophoniste Candy Johnson, un ancien de chez Bill Doggett que l’on peut assimiler au Texas Tenors, en grava une belle version pour le label Black And Blue en 1973, accompagné par Milt Buckner à l’orgue et Clarence « Gatemouth » Brown à la guitare.
Too Close For Comfort
À la fois léger et puissant, ce thème de la fin des années 50 fut un hit que les chanteurs aiment à reprendre. Le saxophoniste Plas Johnson (la légendaire interprétation du thème d’Henri Mancini La Panthère Rose est à son actif) en donna une version que les collectionneurs s’arrachent encore.